F. Thuriot, « Mobiliser des jumelages peut faciliter l’engagement de projets européens », La Gazette des communes, « Entretien Europe » par H. Girard, 8 juin 2022.


© Fabrice Thuriot
Fabrice Thuriot est chercheur en politiques culturelles au centre de recherche Droit et
territoires de l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Pour La Gazette, il analyse le
rapport des collectivités et des acteurs culturels locaux à l’Europe.


L’Europe reste peu présente dans les politiques culturelles européennes. Cela s’explique-t-il par la faible ingénierie des services culturels des collectivités dans ce domaine ?
L’Europe passe surtout par les fonds structurels pour les collectivités locales, via des programmes, des projets et des contrats avec d’autres collectivités et/ou l’État, en particulier pour des infrastructures et des formations.
Les programmes Leader en milieu rural et Interreg pour la coopération européenne permettent plus facilement de financer des projets culturels de territoires mais présentent des inconvénients majeurs en termes de gestion, les fonds étant souvent versés longtemps après les actions.
L’ingénierie européenne dépend évidemment de la taille des collectivités, de leur intérêt pour la culture et de leur volonté de la développer. Elle passe encore souvent par des cabinets de consultants spécialisés, que ce soit pour la culture ou d’autres domaines.
On peut s’interroger sur le paradoxe entre l’accroissement des compétences professionnelles des agents suite à leurs formations spécialisées (les masters culturels se sont multipliés ces dernières décennies) et à leur recrutement à un niveau de cadre, titulaire ou contractuel, et le recours à des consultants. N’y a-t-il pas doubles dépenses dans un certain nombre de cas ?

Quelle serait la solution ?
Une solution pourrait être de constituer des pôles de compétences pluridisciplinaires, dans les collectivités locales pour répondre à des appels à projets européens en lien avec des professionnels. Ces pôles pourraient être formels ou informels, positionnés auprès d’une DGS ou DGA et de l’exécutif, ou organisés par projets

Quand les élus et les professionnels pensent « Europe » en matière de culture, il s’agit le plus souvent de financements complémentaires pour un projet. N’est-ce pas une approche trop réductrice ?
Toutes les approches sont souhaitables, et la culture est de plus en plus incluse dans des projets plus larges, intersectoriels. Il est essentiel pour les collectivités de concevoir des projets globaux dans lesquels s’insère la culture, puis de les décliner dans des projets plus précis s’inscrivant ou non dans des programmes européens et/ou nationaux.
Il est assez paradoxal, là encore, de trouver peu de documents présentant les politiques culturelles locales, territoriales et nationales, contrairement à des pays anglo-saxons ou au Québec, qui les associent parfois à d’autres thèmes comme la santé, le tourisme…


Comment arriver, à court terme, à donner du corps à l’Europe dans les politiques culturelles ?
Par exemple, les jumelages pourraient davantage être intégrés dans les politiques locales, afin de leur donner de l’ampleur et du sens. Ils peuvent être de bons vecteurs pour développer ou prolonger des projets dans de nombreux domaines, et ils concernent tous les types de collectivités et de toutes tailles.
Mobiliser un ou des jumelages peut plus facilement permettre d’engager des projets
européens avec d’autres par les partenariats, intérêts communs, voire habitudes de travail, et financements déjà acquis dans un ou d’autres pays.


La présidence française du Conseil de l’Union européenne peut-elle permettre de faire bouger les choses ?
Les enjeux culturels européens énoncés ne concernent pas directement les collectivités, mais elles peuvent y contribuer, en particulier pour l’offre culturelle numérique. Cela passe notamment par le développement de sites patrimoniaux locaux concernant les monuments, les musées, les bibliothèques, les archives, le patrimoine matériel et immatériel, mais aussi l’histoire et la mémoire locale de façon plus générale.
De tels développements montreraient que l’Europe peut cofinancer des vitrines culturelles numériques des territoires, ainsi que des campagnes de numérisation des ressources, la réalisation de visites virtuelles, des animations ludiques et/ou éducatives…
Des sites recensant l’offre culturelle à une échelle territoriale seraient importants et très utiles, pour les résidents comme pour les touristes.

Concrètement que peuvent espérer les collectivités de ces six mois de présidence française ?
Il faut espérer que la présidence française permette de simplifier l’utilisation et le contrôle des fonds structurels européens mentionnés plus haut. Pourquoi ne pas appliquer le principe des avances comme pour des programmes thématiques tels qu’Europe Créative ? Le remboursement parfois 3 ans après de dépenses sur factures, dans le cadre d’Interreg ou de Leader, par exemple, ne facilite pas l’implication des petites collectivités et des acteurs culturels. La régionalisation de certaines aides n’a pas apporté de réels progrès en la matière. Elle a montré que c’est à la fois un problème de bureaucratie européenne mais aussi, et peut-être surtout, française de multi-contrôles.

Dans le programme de la présidence française, il est aussi question de « développement des échanges culturels », de « diversité culturelle européenne dans l’espace numérique » etc. Les collectivités devraient-elles s’emparer de ces domaines en faisant remonter des projets émanant des territoires ?
Oui, mais les collectivités ou de groupes de collectivités pourraient aussi intervenir
directement pour défendre des langues et cultures régionales ou locales, promouvoir des partenariats avec des pays d’origine de populations immigrées importantes du fait d’une histoire commune, etc.


Dans les « Actes du colloque de Reims sur L’Europe en question(s) », vous traitez des écoles d’artistes de cirque en Europe. Pourquoi ce choix et quels constats avez-vous faits ?
Cette contribution s’appuie sur une recherche européenne conduite dans le cadre d’un projet Erasmus+ (INTENTS : partenariat stratégique pour la définition de la profession de professeur en arts du cirque et la reconnaissance de ses compétences.
La diversité des écoles de cirque en Europe renvoie à différents modèles pour leur création (politiques/institutionnels, économiques/ entrepreneuriaux, sociaux/socioculturels), mais elle conduit à une hybridation pour leur développement. Si des spécificités ressortent selon leurs missions et conditions d’existence, selon les pays et les périodes, les frontières entre les trois modèles sont en effet plus ou moins étanches.


Est-ce l’apanage du cirque ?
Ces dichotomies et hybridations sont également à l’œuvre dans la plupart des autres secteurs culturels, à la fois pour des raisons historiques et administratives.
Par exemple, les musiques dites actuelles se sont institutionnalisées en quelques décennies, tout en conservant leur base amateur et socioculturelle, et leur développement économique, qui est beaucoup plus important que les aides publiques. Ce constat et cette évolution valent pour de nombreux secteurs (théâtre, danse et arts dits contemporains), sur des temps plus longs et des variantes pour les plus anciens ou classiques.


Existe-t-il pour les compagnies (et pour les collectivités) des aides ou des stratégies à l’échelle européenne pour contribuer au développement des arts du cirque ? Ou la solution est-elle plutôt dans la coordination des compagnies au niveau européen pour promouvoir leur art auprès des décideurs de la politique culturelle de l’UE ?
Pour cela, il faut que les compagnies soient associées à des structures capables de porter leurs revendications : pôles nationaux, fédérations, syndicats, sociétés de gestion de droits…, qui peuvent se réunir en réseaux aux niveaux national et européen.


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